Réforme du marché de l’électricité. L’Europe reconnaît à demi-mots l’échec de la libéralisation du secteur, mais tente de sauver les apparences

Une réforme consécutive à la crise de l’énergie

L’Europe avait voulu l’ouverture à la concurrence du secteur de l’électricité et instauré les conditions du marché. Tout se passait bien pour le marché jusqu’à la crise de l’énergie qui a généré l’explosion des prix et coûté des milliards d’Euros aux citoyens européens et aux états membres. C’est bien ce coût économique qui a incité les gouvernements à envisager une réforme. Et on dit bien une réforme. Là où tout être normal aurait abandonné un système défavorable à l’intérêt collectif, dans les gouvernements européens, on préfère réformer. L’intérêt des entreprises passe avant celui des citoyens.

Les causes de la crise de l’énergie

Il y a plusieurs causes à la hausse des prix de l’énergie et de l’électricité :

La cause stratégique – Fermeture de moyens de production

La première est stratégique, en 2015/16, les prix du marché sont très bas (autour de 35€/MWh), les industriels s’estiment insuffisamment rémunérés. L’Europe est en surcapacité de production. Les industriels et les gouvernants vont alors organiser une inversion de la situation, en fermant de nombreux moyens de production (12 000MW retirés du réseau rien qu’en France). L’Europe bascule doucement en sous-capacité de production. Et les prix s’élèvent lentement dès 2017.

La cause règlementaire – Les modalités de fixation des prix

Les règlements européens prévoient que le prix SPOT est fixé sur la base des coûts de production du dernier moyen de production appelé. Or, l’ordre de priorité de production est défini par le principe de la préséance économique (ou merit-order). Produisent en priorité les moyens de production dont le coût marginal est le plus faible. Ce qui conduit donc les moyens de production dont le coût est le plus élevé à produire en dernier. Et c’est précisément ce coût là qui va servir de base pour tout le marché.

Les causes externes au secteur – Le contexte mondial

Deux éléments ont contribué à la hausse des prix :

  • La crise sanitaire due au Covid, qui a complètement bouleversé les prix des énergies fossiles, et, bien sûr, la guerre en Ukraine, dont la zone géographique est un lieu d’extraction majeur d’hydrocarbures
    et de charbon.
  • Les prix des matières fossiles est donc monté en flèche (fioul, charbon, gaz), or c’est précisément au charbon que fonctionnent les centrales dont le coût est le plus élevé, ce qui s’est reporté sur les prix de l’électricité.

Contrairement à ce qui a été annoncé, la guerre en Ukraine a impacté les prix de l’énergie, mais n’est certainement pas la seule cause de la crise énergétique.

Le coût de la crise énergétique

Le coût pour l’Europe est faramineux, et il vient s’ajouter au coût déjà très important de la crise sanitaire (le fameux « quoi qu’il en coûte »).

Certains pensent 307-308, mais il a été estimé par le sérieux think-tank Bruegel à 540 Milliards d’€uros, dont 158 Milliards pour l’Allemagne et 92 Milliards pour la France – Plus 103 Milliards pour la GrandeBretagne et 8 pour la Norvège-soit 650 Milliards d’Euros. Le think-tank Bruegel est un centre de réflexion économique dont l’un des présidents fut Jean-Claude Trichet, ancien Président de la banque centrale européenne et Gouverneur de la banque de France.

Comme il est dit dans les milieux scientifiques ou économiques : Rien en se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ainsi, nous venons d’assister à la transformation de plus de 650 Milliards d’€uros d’argent public en argent privé. A titre de comparaison, pour la France, cela représente la quasi-totalité de l’investissement nécessaire pour le projet nucléaire (Grand carénage + 6 EPR = 100 Milliards). Si l’Europe veut réformer le marché, c’est à cause de ce bilan calamiteux, qu’elle a honte d’assumer.

L’objectif de la réforme

L’objectif est pudiquement de maîtriser les coûts de l’électricité pour les usagers. Mais le marché était censé le faire et a échoué. Pour savoir si cette réforme permettra de maîtriser les coûts, il faut en analyser les dispositifs envisagés. Vous pouvez les retrouver sur le site du conseil européen.

Davantage d’électricité verte

L’objectif est double, environnemental par la décarbonation des moyens de production et économique pour limiter l’impact des énergie carbonées dans le prix de l’électricité. C’est une bonne mesure mais qui en France, pour le développement de l’hydraulique est freiné … par la mise en concurrence des concessions. Aaaaah, le marché encore.

Une meilleure protection des consommateurs

Oui, en langage européen, ça veut simplement dire que les consommateurs n’étaient pas protégés. D’ailleurs un item le prouve « des informations plus claires avant la signature du contrat ». Merci de reconnaître que les contrats sont illisibles pour les consommateurs. Les autres items ne sont guère réjouissants : « tarification dynamique et contrats multiples ».

Pour la tarification dynamique, l’Europe persiste dans son erreur. Les commissaires européens sont persuadés qu’un consommateur consulte le prix de l’énergie avant de démarrer son four. Personnellement, nous faisons plutôt partie de ceux qui allument leurs fours vers 19h00 que 23h00. Au moins, les gosses mangent des repas chauds.

Quant aux contrats multiples, l’Europe reconnaît déjà qu’un contrat est illisible, alors deux ou trois… Enfin, la disponibilité accrue de contrats à prix fixes est la hantise des fournisseurs qui ne veulent se servir de ces contrats que comme contrats d’appel. S’engager sur la durée revient à se priver de
variations du marché, sauf si le sourcing est lui-même garanti à long terme.

Des prix plus stables pour les entreprises

Et c’est précisément ce que l’Europe souhaite : des engagements long terme passées en gré à gré entre producteurs et fournisseurs ou producteurs et consommateurs. Ces contrats sont désignés sous le vocable angliciste PPA (Power Purchase Agreement, soit Contrat d’Achat d’électricité). Mais surtout, la grande nouveauté est le CFD (Anglais : Contract for Difference) ou Contrat d’Ecart Compensatoire Bidirectionnel.
Le principe est plus simple à comprendre que l’appellation.

En cas de hausse du marché, les producteurs remboursent les excédents aux états (par ex, les super profits, inconnus de Bruno Le Maire). En cas de baisse du marché, c’est l’inverse, les états indemnisent les producteurs.

Le principe est génial et ne pouvait que germer dans le cerveau d’un commissaire européen. Il vient d’être inventé le marché à moitié libre, le secteur dérégulé semi-régulé. Rappelons que ceux qui viennent de réfléchir à ça, hurlent contre le moindre interventionnisme d’état dans les marchés (mais bien sûr pas contre les 650 Milliards d’argent public transféré aux compagnies électriques pour sauver le marché).

Pour finir, tout ceci ne nous dit pas comment seront défini les prix de gros, et quels seront les fourchettes de ce fameux « prix d’exercice ».

En en France

Encore une fois la France se distingue des autres pays par les spécificités de son secteur oscillant entre régulé et dérégulé. Avec un ARENh en fin prochaine (fin 2025) et des Tarifs Régulés de Vente.

Le modèle envisagé

La France travaille sur une construction des prix par empilage des coûts. La CRE a été mandatée pour travailler sur ce modèle. Le principe est bon, car il permettrait de rémunérer justement chaque moyen de production en fonction de ses coûts propres, et d’assurer la rémunération de l’investissement. Il serait ainsi incitatif.

Ce modèle, prenant en compte la fin de l’ARENh, intègrerait la totalité de la production nucléaire, mais également la production hydraulique, si elle venait à être sécurisée. Le solaire et l’éolien étant déjà concernés, l’estimation des prix serait faite sur une production exclusivement décarbonée, ce qui répond aux souhaits européens.

Mais les points communs s’arrêtent là, la FNME-CGT a également étudié ce modèle et les projections faites sont divergentes des conclusions de la CRE, qui s’appuie sur le marché pour ses estimations. Pour la FNME-CGT, le prix juste qui ressort est de l’ordre de 0,18€/KWh HT, avec une TVA à 5,5%. Ce qui représenterait une baisse des factures de 25% en moyenne.

La réaction européenne

Mais, car il y a toujours un mais, l’Europe pourrait voir la chose d’un mauvais œil. Alors que l’ARENH était destiné aux petits consommateurs (tarifs bleus), le modèle projeté englobe la quasi-totalité de notre production. Ce modèle pourrait bénéficier aux entreprises et industries
françaises.

Mais, si la méthode par empilage des coûts est intéressante sous le modèle technologique français, elle l’est beaucoup sous le modèle allemand par exemple. L’Europe pourrait ainsi dénoncer une distorsion de compétitivité entre les industriels français et les autres (toujours le marché…). Et nous obliger à mettre une partie de notre production à dispositionn des autres états membres. Encore une fois nos factures d’électricité seraient grevées par les stratégies différentes de nos voisins.

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